Monographie Anniviers

[…]"Comment imaginer la vie des Anniviards en l’an 1500 ou 2000 avant notre ère ?
À l’époque des pérégrinations sémitiques entre le Nil et la Mésopotamie, ils en étaient à l’âge de la pierre.
Ils ne nomadisaient pas. Les gens de la mer n’avaient pas remonté le fleuve et la Rome antique n’existait pas.
Il faut penser à de petites colonies de pasteurs enclos dans leurs murailles naturelles, s’opposant aux incursions de l’extérieur.
D’où venaient-ils ? Nul ne le sait. Et pourquoi seraient-ils apparus tout à coup en nombre, alors qu’ils auraient tout dû créer à la fois ?
Des groupes minuscules ont dû s’élargir peu à peu.
C’est lorsqu’ils furent devenus un peuple – quelques centaines d’habitants – qu’ils se mirent à convoiter le bas coteau de la vallée du Rhône.
Il ne s’agissait pas encore de la plaine, vouée à la réplique de la Genèse.
Les gens d’en face, pasteurs comme eux, disposaient-ils de terres en suffisance, ou les Anniviards les leur ravirent-ils par contrainte ?
Les apports et les influences vinrent de l’ouest d’abord, puis du sud.[…]
Les Anniviards suivirent le sort de la Romandie, après l’apparition des Burgondes et des Francs, et celui du comté du Valais.
Les Alémanes qui s’imposèrent aux confins immédiats n’ont pas entamé les Anniviards, ni métissé leur langage.
Anniviers participa aux querelles des seigneurs (la Savoie et nos évêques) et passa finalement sous la juridiction de ces derniers.
L’ancien château de Vissoie, incendié puis détruit au XVIIe siècle, et la tour carrée, abritèrent les seigneurs épiscopaux. Ceux-ci maintenaient l’ordre, rendaient la justice et percevaient la dîme.
Nos processions s’arrêtent encore devant les croix implantées sur les vestiges des potences, et chantent un « libera me » pour les âmes de nos ancêtres insurgés ou peut-être simplement justiciables de droit commun.
Le « Cordon de la justice » (magistrats et officiers en robes noirs et rouges qui prennent place au chœur de l’église pour les offices solennels) est une survivance de cette époque. Ce sont les châtelains, majors et sautiers du temps.[…]
Pour le surplus, les Anniviards ne connaissent pas leur histoire ; les spécialistes n’en ont dégagé que des bribes. Les éléments gisent en vrac dans les archives cantonales et dans les « troncs » des sociétés locales et des bourgeoisies.
Il y avait peu de chroniqueurs. On n’écrivait à peu près que les franchises et les contrats. Les archives de familles, sur gros parchemin, ont servi à doubler cahiers et livres à des générations d’écoliers.
Les ressources du territoire se limitèrent longtemps aux produits carnés et lactés, et aux céréales.
Les Anniviards cherchèrent un débouché vers le coteau et la plaine, à cause des fruits et du vin, qui leur faisaient grandement défaut.
Des documents du XIIIe siècle attestent que Noës (à l’ouest de Sierre) était déjà aux mains des Anniviards, gens du « quartier » de Saint-Jean pour la plupart. Leur itinéraire était celui de Vercorin, par le sentier de la chapelle du Bouillet.
Les Anniviards finirent par posséder la majeure partie des prairies et du vignoble de la rive droite du Rhône, entre Bernunes (près de Salquenen) et Chamsabé (près de Noës).
Des achats amorcèrent cette occupation, mais tout nous incline à croire que la force prévalut sur le droit. De là peut-être l’aversion qu’affichent encore aujourd’hui pour les Anniviards les gens de la Noble et Louable Contrées de l’ancien dizain de Sierre.
Les compétitions pour les fonctions dizainales auront joué leur rôle. Anniviers détenait la sous-bannière et fournissait de bons magistrats.
Ajoutons que le service étranger n’a laissé que la maison Gillet, à Vissoie. Il n’y avait que très peu d’officiers. Les soldats relevaient des régiments de Courten et de Preux, au XVIIe et XVIIIIe siècles.[…]
De tout temps, et jusque vers 1920, les Anniviards vécurent en autarcie quasi complète. Ils tiraient de leur sol et de leurs troupeaux la subsistance, le vêtement et la chaussure.
La plaine fournissait l’huile de noix, le maïs, le vin. Ils ne devaient aux marchés que les épices et les pièces de soie.
Au début du siècle, le sucre et le café étaient un luxe extrême.
Les pérégrinations entre la vallée et la plaine étaient la conséquence de ce régime.
Tandis que leurs contemporains des autres vallées ne détachaient de leurs familles que la main-d’œuvre strictement nécessaire à la culture de la vigne, les Anniviards adoptaient un nomadisme quasi total.
Ils s’établissaient à demeure, pour de longs mois de l’année et pour toutes les activités terriennes, dans les faubourgs de Sierre qui sont Glarey, Borzuat, Zervettaz, Muraz, Villa, et plus loin, vers le couchant, Noës.[…]

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